« L’épée de Damoclès » du 720 et l’arrêté de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 27 janvier 2022 

 Elena Albaladejo. Avocate fiscaliste. Collaboratrice de Morillon Avocats

Quelques notes d’introduction.  

La déclaration informative de biens détenus à l´étranger, connue sous le numéro  720, du formulaire employé pour la présenter, est à ce jour l’obligation fiscale que les  contribuables redevables vis-à-vis de l’administration fiscale espagnole connaissent le  mieux et craignent le plus.  

 Les lourdes conséquences financières prévues par la loi en cas de non-respect de cette obligation lui ont valu sa réputation.  

Depuis que cette déclaration est devenue obligatoire en 2012, beaucoup de contribuables ont souffert de pénalisations financières conséquentes. Dans la plupart des  cas, les citoyens tombés sous le joug de ces pénalisations n’étaient pas précisément les responsables des plus grandes fraudes.  

En ce qui me concerne, je n’ai malheureusement eu à faire qu’à des retraités, des salariés, des cadres supérieurs, des chefs d’entreprise… Bref, des personnes qu’on ne peut suspecter d’emblée d’êtres des fraudeurs, qui ne connaissaient pas cette obligation et ont été sanctionnés pour n’avoir pas présenter ce formulaire en bonne et due forme.  

Les amandes pour défaut ou retard de présentation allaient très vite assez loin… Un dépôt tardif sans mise en demeure de la part de l’administration fiscale encourait le risque d’une sanction minimum de 1.500€, alors qu’avec mise en demeure l’amande pouvait atteindre 10.000€.  

Par ailleurs, tout dépôt tardif (avec ou sans mise en demeure), risquait l’application du régime de plus-values non justifiées au titre de l’impôt sur le revenu. Cette invention juridique permet de taxer la valeur des biens non déclarés comme s’il s’agissait d’un revenu proprement dit, sans possibilité d’invoquer la prescription, sauf si le contribuable concerné parvenait à prouver, soit que le bien lui appartenait avant son installation en Espagne, soit qu’il l’avait acquis avec des revenus dument déclarés.  

De plus, si le dispositif de la « plus-value non justifiée » était déclenché, une sanction de 150 % sur la quote-part de l’impôt sur le revenu résultante venait s’ajouter à  l’addition. 

 

Comment sommes-nous arrivés à l’arrêté de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 27 janvier 2022 et que s’est-il passé pendant la durée de la  procédure ?  

Suite à plusieurs plaintes portées par certains cabinets d’avocats fiscalistes et diverses associations professionnelles, la Commission Européenne a mis en place une enquête dès 2013 afin de déterminer si le régime de sanctions lié au 720 était contraire à la règlementation de l’Union Européenne.  

En 2017, la Commission a émis son rapport définitif, confirmant que cette règlementation était contraire à celle de l’Union Européenne, notamment au regard de la libre circulation de capitaux, entre autres. Elle a ensuite demandé à l’Espagne de modifier la règlementation en question, demande restée sans suite de la part de l’Espagne.  

En 2019 la Commission Européenne a finalement porté plainte contre l’Espagne auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).  

En juillet 2021, l’avocat général à la Cour avançait dans ses conclusions que le régime des sanctions lié à la procédure du 720 était en grande partie contraire à la réglementation de l’Union Européenne.  

Les tribunaux espagnols se sont également mobiliser et ont commencé à accorder gain de cause à un nombre croissant de contribuables qui contestaient les sanctions qui leur avaient été imposées.  

De surcroît, pendant tout ce temps-là, le Gouvernement espagnol n’a non seulement pas modifié cette réglementation, mais il en a augmenté le champ d’application, en introduisant pour la première fois en juillet 2021 l’obligation de déclarer également les crypto-monnaies1.  

De plus, il faut savoir que la réglementation espagnole prévoit de laisser en suspens toute procédure administrative concernant l’application d’une règlementation remise en cause par la CJUE. Or, en dépit de ce principe, l’Administration espagnole n’acceptait pas de suspendre les procédures d’infraction… Chose qu’elle aurait dû faire, compte tenu que toute activité administrative doit être régie par le principe de bonne  administration.  

Le 27 janvier 2022 la CJUE a finalement émis son arrêté, selon lequel le régime de sanctions pour non-dépôt ou dépôt tardif avec ou sans mise en demeure, ainsi que le régime de plus-values non justifiées et la sanction de 150 % correspondante sont considérés comme contraires à la règlementation européenne.  

Sur la plan juridique, la publication de cet arrêté a entrainé l’annulation immédiate de la règlementation en question mais pas de l’obligation de déclarer les avoirs, contrairement à ce qu’ont publié plusieurs médias dans un premier temps.  

1 Néanmoins, à ce jour l’obligation de déclarer les crypto-monnaies est toujours en attente de régulation et donc elle n’est pas encore applicable.

 

En vertu de cette annulation, la mesure ne peut plus s’appliquer et les oppositions faites aux sanctions en cours à la date du 27 janvier 2022 doivent aboutir au gain de cause pour les personnes concernées.  

En dépit donc de la doctrine, il faut être particulièrement vigilant quant à l’application pratique. Nous avons reçu en l’occurrence l’arrêté d’un tribunal administratif espagnol refusant d’annuler une sanction contestée à l’époque, sous prétexte de ne pas avoir connaissance de l’existence de l’arrêté de la CJUE.  

Les personnes s’étant vues imposer des sanctions au titre du 720 ont-elles un droit de réclamation quelconque au regard de l’arrêté de la Cour de Justice de l’Union Européenne ?  

La réponse est variable.  

Si la sanction et/ou l’application du régime de plus-values non justifiées avaient été contestées auprès des Tribunaux en bonne et due forme sans obtenir gain de cause et que la violation du droit européen avait été invoquée, l’arrêté de la CJUE permet de mettre  en place une procédure de déclaration de responsabilité patrimoniale de l’État espagnol – dans le délai d’un an- et donc d’ordonner le remboursement.  

Si la sanction et/ou l’application du régime de plus-values non justifiées n’ont pas été contesté auprès des Tribunaux, il ne serait pas possible d’obtenir un remboursement au regard de l’arrêté de la CJUE en vertu de la règlementation espagnole actuelle. La réglementation qui limite la possibilité de réclamer est en cours de révision par la Commission Européenne et risque d’être également annulée, ce qui fait que les personnes n’ayant pas contesté la sanction ont encore la possibilité de le faire (même si de façon limitée et pour un résultat incertain). Pour conserver la possibilité de contester et pouvoir bénéficier du futur arrêté de la CJUE visant à annuler ce droit, il convient de le faire.  

En revanche, les personnes dont les procédures de réclamation étaient encore en cours à date du 27 janvier doivent bénéficier de l’arrêté de la CJUE en tout état de cause.  

Quel est le régime de sanctions actuellement en vigueur après l’arrêté de la Cour de Justice de l’Union Européenne ?  

Bien que le Gouvernement espagnol a eu de longues années pour concevoir et mettre en place une nouvelle règlementation concernant les sanctions liées au 720, il a attendu l’arrêté de la CJUE -qui était plus que prévisible- pour mettre en place le changement.  

Ce changement, mis en place à toute hâte, a vu le jour le 10 mars 2022 et invalide les articles concernant les sanctions et le régime de plus-values non justifiés, sans les remplacer. Concrètement cela entraine que le régime général de sanctions pour défaut ou retard des déclarations devient applicable et, en conséquence, que les défauts ou retards de la procédure 720 risquent des sanctions de l’ordre de 200€ dès aujourd’hui. Le 720 a actuellement cessé d’être une épée de Damoclès pour devenir un petit frisson d’une soirée d’été…  

Néanmoins, une double problématique se présente :  

– Le formulaire 720 n’a pas été modifié et il continue à être extrêmement compliqué à remplir, exigeant de connaissances juridiques et fiscales approfondies dans la plupart des cas. Cette tâche requiert entre plusieurs heures et plusieurs jours de travail, ce qui s’avère incohérent par rapport à un risque financier de 200€. Donc, soit le formulaire 720 est simplifié au maximum (scénario désirable), soit les sanctions sont modifiées pour redevenir cohérentes avec la lourdeur du formulaire.  

– Une sanction de 200€ n’incite pas les vrais évadés fiscaux (ne soyons pas cyniques : il y en a, même si moins de ce que le fisc croit) à satisfaire leurs obligations déclaratives. Et il est vrai qu’un régime de sanctions cohérent (tout en respectant la règlementation européenne) s’avère nécessaire pour lutter contre la fraude fiscale. La plupart des pays de notre entourage ont des formulaires équivalents au 720 et prévoient des sanctions cohérentes pour non-dépôt.  

Il faut donc prévoir que le Gouvernement espagnol en vienne à modifier de nouveau le régime de sanctions. Reste à savoir avec quel degré de cohérence et de justice.

Cabinet Morillon.es pour LCE

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