El Mundo, Expansión, Marca. Ces marques vous disent-elles quelque chose ? Elles appartiennent au groupe de presse espagnol Unidad Editorial qui emploie plus de 1.400 personnes. Face à la révolution technologique, le groupe doit s’adapter pour conserver son image de marque. Rencontre avec son Président, Antonio Fernández-Galiano Campos.
Comment décrire le groupe Unidad Editorial ?
Unidad Editorial est le résultat d’une fusion qui a eu lieu en avril 2007 entre deux groupes de presse: Recoletos, éditeur de Marca et Expansión et Unedisa, éditeur de El Mundo.
Le groupe Unidad Editorial détient El Mundo, journal généraliste, Expansión, journal économique et Marca, journal sportif. Il détient aussi d’autres titres: Telva, pour la presse féminine, Marca Motor, pour l’automobile, ainsi que Diario Médico et Correo Farmacéutico, qui s’adressent à la profession médicale.
En matière d’audience de journaux imprimés, nous sommes le premier groupe et nous sommes également le premier en termes d’utilisateurs uniques sur Internet avec un total de 28 millions d’utilisateurs par mois.
Nous avons aussi une édition de livres, La Esfera de los Libros, ainsi qu’une radio, radio Marca, et deux chaînes de télévision en collaboration avec d’autres groupes: Discovery Max et Gol TV.
Comment se prépare le groupe pour cette nouvelle ère digitale qui ne fait que démarrer ?
Pour commencer, nous analysons tout ce qui concerne l’information sur des supports numériques. Ensuite nous avons développé nos propres plate-formes d’interaction avec les utilisateurs et abonnés. Pour finir, nous avons une plate-forme de big-data avec des ingénieurs, que nous avons lancée ces dernières années. Cette dernière nous permet d’avoir des informations très précises sur nos utilisateurs même s’ils ne sont pas connectés. Nous avons déjà analysés plus de 700 profils. C’est très intéressant et ça permet de voir la relation qu’ils ont avec nos contenus. Nous savons donc quels sont les produits avec le plus d’engagement, le plus d’impact, etc. Aujourd’hui nos sites sont gratuits, mais nous tendons à faire payer nos articles ou certaines parties de nos contenus.
Quand voulez-vous lancer cette solution ?
Nous y travaillons. L’équipe de big-data est en train de fournir les résultats importants sur le plan commercial. Toutes ces informations sur les utilisateurs intéressent nos annonceurs pour proposer le meilleur contenu.
Avec le numérique qui se mondialise, avez-vous des accords avec d’autres groupes de presse internationaux ?
Nous avons des accords en Amérique Latine, avec le groupe de Claro. Nous avons lancé Marca Claro, qui donne des informations sportives rédigées en partie ici en Espagne, et le reste là-bas. Nous avons des éditions au Mexique, en Argentine, en Colombie et nous venons d’en lancer une aux États-Unis.
Ensuite pour El Mundo, nous avons un accord avec le groupe mexicain Milenio.
L’avantage que nous avons, c’est la langue espagnole et l’absence de frontière ou barrière avec les supports numériques.
Et avec des groupes français ?
L’un de nos actionnaires fondateurs était Libération. Mais nous n’avons plus d’accord avec ce journal depuis un petit bout de temps.
En revanche, comme notre principal actionnaire actuel est le groupe italien RCS Media Group, qui édite Corriere della Serra y La Gazzeta dello Sport, nous nous partageons beaucoup d’informations et parfois même des actions commerciales.
Sur le thème de la commercialisation, quelles autres activités développent le groupe en dehors de l’édition ?
Nous organisons beaucoup d’événements, de conférences et de forums avec Expansión, Marca, Telva et El Mundo. Avec Marca par exemple, nous avons organisé plusieurs fois “La nuit du sport” à Madrid. Cette année nous aimerions la refaire dans une ville andalouse. Nous organisons également chaque année le prix Pichichi qui récompense le meilleur joueur de football.
Nous proposons aussi des formations avec des masters de journalisme sur tous les aspects: mode, général, data, etc.
Comment voyez-vous le futur des médias de communication ?
Je pense qu’il y a deux aspects à analyser et à séparer. Le premier c’est comment je vois le futur de l’industrie, et le second c’est comment je vois le futur du rôle des médias. Ce dernier est un peu plus philosophique.
Aujourd’hui les médias sont dans un processus de transformation très important car l’impact de la révolution numérique va être énorme. Cette révolution est nécessaire car elle permet d’abaisser les barrières d’entrée à l’information. Mais cela va exiger le renforcement de marques puissantes qui seront des références pour les lecteurs. Ils vont avoir besoin de références solides et fiables car sinon l’offre sera excessive et le marché entièrement désordonné.
Quel va être le rôle des médias dans une société autant affectée par la révolution technologique ? Ce sont mes inquiétudes car je considère que les médias ont un rôle essentiel dans le système démocratique. Aujourd’hui ils doivent coïncider avec trois facteurs: l’impact du numérique sur l’information, le boom des populismes et le boom des fake news qui conditionnent les citoyens. Même des marques qui peuvent paraître sérieuses aux yeux des citoyens ne le sont pas. Wikipédia dit des choses fausses qui ne sont pas corrigées. Lors de discussions ou de débats, il y a des personnes qui vont sur Wikipédia et qui attestent “c’est Wikipédia qui le dit”. Et c’est ça le problème.
Il faut donc analyser ces trois facteurs ?
Je pense que le citoyen dans un système démocratique est plus désinformé que jamais. Il est plus actualisé que jamais c’est certain, mais il n’est pas informé. Et c’est le danger pour une démocratie.
Il se retrouve du jour au lendemain avec une quantité d’informations qu’il ne peut pas digérer. Il reste sur les titres et n’approfondit pas l’information. On peut le voir au quotidien avec toutes les notifications que l’on reçoit sur notre téléphone.
En définitif, cette manière d’articuler l’information est plus orientée à provoquer des réponses émotionnelles, plutôt que des réponses rationnelles. Je pense que les journaux ont toujours voulu provoquer ce raisonnement des lecteurs.
Donc ce qui me préoccupe le plus c’est le rôle des médias dans le futur du système démocratique. L’information responsable est vitale pour le citoyen. La prendre sans aucun critère amène le résultat de ce qui se produit actuellement en Occident.
Pensez-vous que ce consommateur va à nouveau faire confiance à une marque pour s’informer ?
C’est une question pour les sociologues chevronnés. Si la montée des populismes continue dans le scénario où nous nous trouvons et qui est très laid, cela peut provoquer une réaction. Les marques peuvent de nouveau jouer un rôle de contre-pouvoir populiste. C’est un peu ce qui, en définitive, s’est produit aux États-unis avec Trump. Il s’est opposé aux médias et inversement. L’arrivée de Trump a mis à nouveau en valeur le Washington Post et le New York Times.
“Le défi c’est que les marques soient suffisamment fortes pour pouvoir influencer les citoyens.”
Avec Facebook et Twitter entre autres, diriez-vous que nous sommes face à une dictature numérique ?
D’un certain point de vue, ils imposent une dictature du politiquement correct donc oui.
Tout le monde est conditionné par les réseaux sociaux alors qu’ils ne sont personne.
Et pourtant des grands médias les prennent comme source
C’est extrêmement choquant de voir une télévision ou une radio faire ça. Nous seuls avons le critère, pas Twitter, et quand je dis-nous, je parle des médias Ce qui a le plus d’impact sur Twitter c’est toujours ce qui est le moins sérieux, le moins fondé. Et c’est ça qui me préoccupe.
Cette révolution numérique annonce une chute des barrières d’entrée dans le monde de la communication que tout un chacun peut intégrer, et cela a un impact sur le comportement des citoyens et des équilibres politiques. Je pense que le boom des populismes n’est pas loin de tout cela.
Le défi est donc de construire une marque ?
Effectivement le défi c’est que les marques soient suffisamment fortes pour pouvoir influencer les citoyens. Pour qu’ils soient réellement informés pour voter. Il faut voter avec la tête et non le coeur. Et c’est le rôle que nous avons les journaux et l’ensemble des médias: faire réfléchir les citoyens.
Au final c’est la recherche de la vérité. Et normalement il faut faire des efforts pour la trouver. Personne ne doit croire qu’elle arrive par un simple clic. C’est totalement faux. Aujourd’hui l’approfondissement de la vérité requiert un effort inacceptable à cause d’une question de temps. Mais c’est cette grande réflexion qui doit être posée sur la table. Il faut que les journaux mettent leur grain de sel pour que la raison l’emporte.
Que préconisez-vous ?
Être optimiste. Le monde a vécu des moments difficiles et les journaux ont toujours été présents. Ils ont été les protagonistes des démocraties modernes.
Il faut donc que les autorités protègent l’industrie des médias ?
Bien sûr. Les pouvoirs publics ont manqué de vision sur ce qui nous arrive. Google et Facebook ont fait beaucoup de mal. Nous sommes aux mains de plusieurs entreprises qui ont toutes nos informations. Mais il faut être raisonnablement optimiste dans ce monde
Comme l’explique l’écrivain Stephen Pinker dans son dernier livre : le monde est dans l’un de ses meilleurs moments de l’histoire. Il a toujours progressé. Sur les trente dernières années, des milliers de millions de citoyens ont été sortis de situations de pauvreté extrême, la médecine sauve des vies, notre espérance de vie s’allonge. Il y a plein de choses positives.
par Philippe Chevassus,
retranscrit par Camille Sanchez