Si la loi espagnole, comme la loi française, est une transposition de la même directive européenne, ces deux textes législatifs présentent des différences. Une de ces différences est fondamentale, dans la mesure où elle détermine, d’une part, les conditions du droit de l’agent commercial à recevoir une indemnité après la rupture du contrat d’agence du fait de l’entreprise mandante et, d’autre part, le montant de cette indemnité. En effet, la directive européenne laissait le choix aux États membres entre une indemnité fondée sur le préjudice subi par l’agent commercial (option choisie par le législateur français), ou une indemnité fondée sur la rémunération de l’agent commercial pour la clientèle qu’il a développée et dont l’entreprise mandante continue de profiter après l’extinction de la relation contractuelle d’agence commerciale (option choisie par le législateur espagnol). Cette différence conceptuelle a des conséquences pratiques considérables : tandis qu’en France, l’indemnité de clientèle est attribuée de manière quasi automatique lorsque la rupture du contrat d’agence n’est pas du fait de l’agent (rupture unilatérale, cession de sa position contractuelle à un tiers, faute grave de l’agent –interprétée par ailleurs beaucoup plus restrictivement par la jurisprudence française que par la jurisprudence espagnole-), en Espagne, pour que l’agent ait droit à une indemnité, il faudra qu’il prouve (fait qui n’est pas anodin, la charge de la preuve repose sur lui) que toutes les circonstances suivantes sont réalisées :
- il a développé de manière notable la clientèle existante de l’entreprise mandante ou il a apporté de nouveaux clients ;
- son activité de développement de clientèle, après la rupture du contrat d’agence, a apporté des bénéfices substantiels à l’entreprise mandante ; et
- l’attribution d’une indemnité pour clientèle est juste, du fait de la rémunération que l’agent commercial perd ou du fait de l’existence d’une obligation de non-concurrence.
Une fois que ces circonstances sont prouvées par l’agent (et il est à noter que le point 2, la preuve que le mandant continue de retirer des bénéfices substantiels de l’activité de l’agent, est particulièrement difficile à prouver), les tribunaux, s’ils admettent la validité de la preuve, détermineront le montant de l’indemnité en fonction du montant des commissions perdues, de la permanence de la clientèle développée dans le portefeuille client du mandant et de l’équité. Quoi qu’il en soit, la loi fixe un maximum à cette indemnité, qui est le montant équivalent à 1 an de commissions (calculé par rapport à la moyenne sur les 5 dernières années). Il est en conséquence évident que la transposition espagnole de la directive est beaucoup moins favorable à l’agent commercial que la transposition française. Outre mettre à la charge de l’agent commercial une preuve ardue, elle établit un plafond d’indemnité égal à la moitié du plafond français. En effet, la loi française ne définit pas le montant de l’indemnité, mais la jurisprudence accorde en général à l’agent une indemnité équivalente à deux ans de commission (calculée également par rapport à la moyenne des cinq dernières années). Si on ajoute à cela que la loi espagnole stipule les obligations de l’agent de manière beaucoup plus détaillée, et que la jurisprudence espagnole admet la faute grave de l’agent de manière beaucoup moins restrictive que la jurisprudence française (la non-obtention des objectifs annuels de vente étant interprétée par la jurisprudence espagnole comme une faute grave de l’agent commercial, à moins qu’il ne démontre qu’il s’est efforcé au mieux afin d’atteindre ces objectifs, alors que la charge de la preuve de la faute de la non-obtention des objectifs repose sur l’entreprise mandante selon la jurisprudence française), le constat exposé précédemment est renforcé. Les entreprises françaises souhaitant donc implanter un réseau d’agents commerciaux en Espagne devront, en conséquence, passer outre la méfiance initiale de l’utilisation d’un droit qui leur est étranger et choisir le droit espagnol comme droit applicable, ce qui leur sera beaucoup plus favorable que leur droit national. Cela impliquera également la rédaction d’un contrat en espagnol, pour éviter une traduction forcément nécessaire et toujours dangereuse pour les différences d’interprétation qu’elle comporte, en cas de conflit devant les juridictions espagnoles.
Virginie Molinier
Avocate aux Barreaux de Barcelone et de Paris
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