Miguel Guerrero : « Les avocats sont obligés de devenir plus internationaux »

Miguel Guerrero : « Les avocats sont obligés de devenir plus internationaux »

L’avocat Miguel Guerrero Acosta a travaillé pendant 11 ans pour le cabinet Cuatrecasas à Paris, Madrid et Casablanca. Fort de cette solide expérience internationale, il a fondé dans la capitale espagnole un cabinet d’avocats spécialisé dans le conseil en France, en Espagne et au Maroc : Guerrero Acosta Abogados avec sa collaboratrice Yasmina Hammoumi Santaella.

Lors de votre retour à Madrid après quelques années à Casablanca, qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans le domaine juridique ?

L’énorme évolution qu’a vécue l’Espagne ces dernières années : avec la crise, les entreprises ont été obligées de s’adapter aux circonstances, de se moderniser, d’être plus exigeantes, d’augmenter la qualité de leurs services et de diminuer leurs prix. Dans le cas spécifique du domaine juridique, je me suis rendu compte de l’excessive dimension des cabinets en Espagne par rapport au marché : aucun pays en Europe ne possède de cabinets composés de 1.500 avocats. Le phénomène de concentration des cabinets s’est produit il y a 10 ans, au moment où les grands cabinets anglo-saxons se sont installés en Espagne et les cabinets espagnols on dû grossir pour se défendre. Ils ont engagé beaucoup d’avocats dans un contexte de boom économique. Un cabinet comme Cuatrecasas comptait environ sur 200 avocats en 1997, maintenant il en dispose de plus de 1.000. À mon avis, la taille des cabinets espagnols ne correspond pas à la situation de notre économie. Même l’Allemagne, avec une économie beaucoup plus forte que la nôtre, n’a pas de cabinets avec plus de 400 ou 500 avocats. Cependant, en Espagne, 4 ou 5 en possèdent plus de 1.000. Avec la crise, ces grands cabinets doivent s’alléger un peu : ce même phénomène s’est produit en France à la fin des années 90, lorsque la crise a obligé les cabinets à réduire leur taille. Bon nombre d’avocats associés, des professionnels avec beaucoup d’expérience, ont décidé de se séparer de ces cabinets et d’installer leurs propres bureaux. Les clients recherchaient ce que l’on appelle des cabinets « boutiques », à taille humaine : avec 3 ou 4 associés et entre 5 et 10 collaborateurs, très spécialisés en 2 ou 3 domaines du droit.

Ce phénomène de déconcentration était donc initialement propre à la France ?

Il s’agit d’un mouvement qui a eu lieu dans deux pays d’Europe Occidentale dans les années 90 : notamment en France, mais aussi en Allemagne. Maintenant, il arrive en Espagne. L’Espagne a connu ces dernières années une situation économique complètement différente de celle des autres pays européens. Lorsque l’Espagne avait une croissance de 7%, la France cumulait à 1%. Cette rapide récupération du retard économique espagnol a eu aussi un effet sur les cabinets d’avocats. Aujourd’hui, avec le début de la fin de la crise, ce mouvement qui a commencé il y a 2 ans s’est accentué.

Aujourd’hui, quels sont les aspects les plus valorisés par les clients ?

Les tarifs sont toujours importants, il est assez habituel que les cabinets soient mis en concurrence pour des projets concrets. Dans le monde des affaires, cela fait environ 7 ans que cette mise en concurrence se produit. Cependant, il est vrai qu’aujourd’hui les clients cherchent principalement la flexibilité, des équipes plus humaines et des offres plus spécifiques.

Est-ce que la crise a mis en évidence la nécessité d’une plus grande spécialisation des cabinets juridiques ?

Tout à fait. Il y a eu une mutation du marché juridique. Surtout en Espagne, le monde des avocats était jusqu’ici très traditionnel. Ces dernières années, avec la crise, les cabinets spécialisés en Droit des Affaires sont devenus plus petits et spécialisés. Mais ce phénomène de déconcentration n’a pas été le seul à se produire, celui de l’internationalisation a aussi été très présent.

Comment un petit cabinet peut rester concurrentiel face aux grands cabinets et attirer de nouveaux clients ?

Il y a plusieurs éléments. Les éléments fondamentaux sont l’image et la qualité du cabinet. Il doit être composé par des professionnels reconnus, pas seulement par leurs clients, mais par tout le monde. Le deuxième élément est la notoriété des avocats. Le cœur de nos services est la personne. Les avocats doivent déjà posséder un background sur le marché juridique. Le troisième élément est commercial : la promotion, une nouveauté datant d’il y a environ 6 ans. Avant, il y avait des scrupules envers la publicité en raison de l’image traditionnellement noble de notre métier.

Quel est le principal avantage des petits cabinets par rapport aux grands ?

En raison du boom économique des années précédentes à la crise, la plupart des entreprises n’a pas eu besoin de s’internationaliser, la demande interne lui suffisait. Ce phénomène s’est aussi produit dans le monde juridique, même les grands cabinets espagnols sont aujourd’hui très mal internationalisés. Ils sont très peu sortis à l’extérieur et n’ont pas toujours bien compris que le monde du droit est un monde international. Aujourd’hui, il ne suffit plus que les avocats parlent plusieurs langues, il faut également qu’ils soient capables de travailler dans d’autres pays, de bien comprendre ce qui se passe, au niveau juridique, au sein de ces autres pays et d’aider les entreprises espagnoles qui ont besoin de s’exporter et de travailler dans des systèmes juridiques étrangers. Les grands cabinets sont très mal adaptés. En général, à l’extérieur, ils ne disposent que de bureaux servant de vitrines pour attirer de nouveaux clients en Espagne. Même en Amérique Latine, les cabinets n’ont pas réussi à s’implanter. Ils passent des alliances avec des cabinets locaux, mais ils ne se sont pas vraiment installés comme le font les anglo-saxons dans le monde. Cependant, je pense qu’aujourd’hui les avocats sont obligés de devenir plus internationaux et d’être capables de travailler conformément à la jurisprudence de plusieurs pays. Je l’ai fait toute ma vie et il y a 7 ans j’étais vu comme un extraterrestre à Madrid.

Peut-on dire que les espagnols ne possèdent pas la culture de l’export ?

Ce phénomène n’est pas exclusif à l’Espagne. Les avocats dans des pays comme la France et l’Allemagne, avec des économies très internationalisées, n’ont pas réussi non plus à s’implanter à l’étranger. Ce problème a, logiquement, une explication : le droit est un métier très national et pour s’installer dans un autre pays, il est nécessaire de connaître toute sa jurisprudence, pas seulement le droit écrit.

Si aujourd’hui, un industriel espagnol de l’agroalimentaire, par exemple, veut s’implanter en France ou en Turquie, comment doit-il s’y prendre afin de trouver l’avocat qui lui convienne ?

En résumé, il y a deux possibilités. Soit il contacte l’un des grands cabinets anglo-saxons présents dans le monde entier (Shanghai, Moscou, Casablanca, Buenos Aires…), soit il s’adresse à son cabinet de confiance dans son pays d’origine pour obtenir des contacts. Il existe un réseau international de cabinets interconnectés. Cette dernière option peut être considérée comme du networking, mais il y a un inconvénient pour l’entrepreneur : il va se trouver face à un cabinet qui n’est pas de sa culture, avec une méthodologie de travail probablement différente de celle de son pays d’origine. En outre, dans certains pays, les cabinets qui ne travaillent pas souvent avec des clients étrangers, pratiquent des prix totalement exorbitants.

Y a-t-il des cabinets français en Espagne ?

Il n’y a, à ma connaissance, aucun cabinet d’avocats français en Espagne. Il y a des cabinets d’audit français en Espagne, et aussi des cabinets américains qui, étant établis à Paris, peuvent transmettre l’image d’être français, mais ils ne le sont pas. Il y a eu, dans le passé, des cabinets français établis en Espagne, mais je pense qu’ils n’ont pas su s’adapter, trouver les bonnes personnes ni profiter de l’importante présence des entreprises françaises en Espagne. J’ai participé à plusieurs tentatives de développement de cabinets français en Espagne, mais ils sont tous finalement partis. Il y a des avocats français en Espagne, mais pas de cabinets.

Des cabinets étrangers ont réussi à s’installer dans d’autres pays en suivant simplement leurs grands clients dans leur expansion à l’étranger. Ceci n’est pas possible pour la France ?

Ils ont tenté de le faire, mais il y a eu des mauvaises expériences et peut-être une manque de vision des avocats français. La présence d’un ou deux cabinets français en Espagne serait absolument justifiée : la France a toujours été le premier investisseur étranger en Espagne. Un million de francophones (belges, africains, suisses et canadiens) réside en Espagne, dont bon nombre d’entrepreneurs. Y-a-t’il des cabinets représentant d’autres pays francophones installés en Espagne ? Non, il n’y en a pas. Il y a un grand marché de clients francophones en Espagne qui n’est pas satisfait. Moi-même j’ai eu, ces dernières années, des clients belges.

Depuis deux mois, on parle beaucoup de reprise économique en Espagne, est-ce que vous avez ressenti une augmentation de la demande étrangère vis-à-vis des investissements en Espagne ?

Oui, bien sûr. On le sent moins par rapport aux entreprises espagnoles, mais depuis 4 ou 5 mois on ressent un intérêt croissant des investisseurs étrangers en Espagne. Dans l’immobilier, c’est évident qu’il y a un intérêt extrêmement important, parce que l’Espagne est aujourd’hui considérée par les analystes immobiliers comme le troisième marché le plus intéressant en Europe, après l’Allemagne et la Grande Bretagne. On le remarque aussi dans d’autres domaines, il y a de très importantes opérations d’acquisition de sociétés espagnoles en préparation et des opérations d’expansion de groupes espagnols à l’étranger.

Par Philippe.C et Jenna .L

Photos Julia Robles

Pour contacter Miguel:   miguel.guerrero@guerrero-acosta.com

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