“On devrait tous avoir l’ambition de connaître le succès dans nos vies personnelles !”

Le livre « Remontada » que publie le député Stéphane Vojetta est le récit détaillé de cette âpre bataille politique des législatives de juin 2022 qui l’a opposé à Manuel Valls dans la 5e circonscription des Français de l’étranger (Espagne, Portugal, Monaco, Andorre).
Réélu largement face à l’ancien Premier ministre, Stéphane Vojetta raconte cette période de campagne qui a suivi l’investiture par LREM de Manuel Valls dans sa circonscription. Sans tabou, il y évoque le parachutage de Manuel Valls, son maintien en tant que candidat dissident, son exclusion par Renaissance, son combat (David contre Goliath) et sa victoire suivie par son retour dans la majorité présidentielle.

Cette chronique d’une lutte frontale et mouvementée entre 2 hommes aux parcours opposés, permet à l’auteur de se confier sur ses origines sociales, sa trajectoire et son action parlementaire. Pour Le Courrier d’Espagne, c’est l’occasion d’en savoir plus sur cette campagne atypique et ses projets futurs.

Laurence Lemoine : Entre journal intime et carnet de route, votre ouvrage raconte cette période particulière qui a été très médiatisée… C’était important pour vous de publier ce livre ?

Stéphane Vojetta : Au départ, j’ai voulu écrire ce récit pour moi, mais surtout pour mes enfants, afin de garder une trace écrite durable de ces moments qu’on avait traversé, enfin que moi, j’avais traversé, mais qu’eux aussi avaient vécu un peu plus à distance. Et puis en l’écrivant, je me suis rendu compte qu’il était important que je parle aussi de moi et de mon parcours.
Et quand je l’ai fini en septembre dernier, après la pause estivale, j’ai trouvé que cela donnait quand même un ensemble intéressant qui ne raconte pas seulement mon histoire contre Valls, mais d’autres choses sur la légitimité en politique, sur les parcours de vie, etc. Dans mon entourage, on a trouvé l’idée et le projet intéressant, donc j’ai peaufiné mon texte, j’ai éliminé certaines aspérités et affiné des éléments du récit jusqu’au moment où j’ai appuyé sur le bouton publier.

LL : Cette fameuse étiquette du “tombeur d’Emmanuel Valls”, qui vous colle depuis un an, a tendance à s’estomper maintenant ?

SV : On me le rappelle moins, c’est vrai ! Les gens savent quand même bien ce que je fais sur le terrain et à l’Assemblée. Donc ils m’identifient plutôt à la loi influenceur par exemple maintenant… Mais aussi toujours, c’est vrai, à ce combat que j’ai mené qui a été assez médiatisé. L’objectif de ce livre était aussi de répondre aux questions que tout le monde me pose. Elles sont toutes posées noir sur blanc, et mes réponses sont là. Maintenant bon à chacun de se faire son opinion, de regarder les faits et ensuite de décider qui a fait quoi, pourquoi et comment.

LL : Finalement, vous lui en seriez presque reconnaissant à Emmanuel Valls… non ?

SV : Moi, je l’ai toujours dit depuis le début ! D’abord, parce que sa présence a permis aux Français de la circonscription de s’intéresser à ces élections et ensuite, parce que moi, je savais que si je le battais et je savais que j’allais le battre, cela me donnerait un poids à Paris que je n’aurais pas eu.

LL : Ce que l’on apprend aussi dans votre livre, ce sont vos origines ouvrières, par votre papa (qui a quitté le foyer très tôt) et le fait que vous ayez habité dans une cité aux alentours de Nancy. L’ascenseur social a bien fonctionné pour vous … Est ce qu’on peut toujours en dire autant d’une manière générale aujourd’hui en France ?

SV : Oui, d’accord, mais ce n’était pas Germinal quand même ! Je ne vivais pas dans un HLM de ce quartier, mais dans un petit pavillon de la banlieue de Nancy à côté de ce quartier ZEP où ma mère enseignait. J’étais entouré d’amis surtout, représentants de la communauté immigrée et donc moi, je me sentais comme étant de ce quartier. Effectivement, c’est de là que je viens.

Mon père était ouvrier spécialisé, mais je ne vais pas faire semblant non plus d’être sorti de la mine. Par contre, effectivement au niveau du ressenti et à cause de l’endroit où j’ai grandi, j’avais conscience de la nécessité d’emprunter ce chemin de l’excellence républicaine pour arriver à sortir durablement de cette assignation à résidence à la fois géographique et sociale. Et donc, j’ai réussi à le faire avec mes études (Essec ndl) et en réussissant dans plusieurs domaines différents, comme dans des grandes entreprises, dans l’entrepreneuriat et ensuite en politique. Et j’ai réussi à le faire en partant de là, donc c’était faisable à l’époque.

Si cela est encore faisable aujourd’hui ? Je ne sais pas, je crois que la perception aujourd’hui, c’est que c’est sans doute plus compliqué, mais ma décision de publier ce livre, c’est aussi pour raconter une histoire qui dit que ces choses-là existent et sont possibles.

LL : Un sujet que vous abordez largement également, c’est ce fameux syndrome de l’imposteur que vous ressentez souvent… On se soigne de ça ?

SV :

En fait, il n’y a qu’une manière de soigner le syndrome de l’imposteur, c’est en se mettant en risque et en réussissant.

Dans ma vie, j’ai souvent dû forcer ma nature pour me jeter dans la gueule du loup et dans des défis que ce soit dans l’expatriation ou dans des situations où je me retrouvais clairement en dehors de mon milieu, en dehors de ma sphère et parfois de mes compétences supposées.Et quand ça marche, on réalise qu’on avait tort d’avoir ces appréhensions et ces réserves. Bon, j’avoue que au fil du temps, avec les années qui passent et les succès qui s’accumulent, c’est vrai qu’on réussit à le faire taire peu à peu ce syndrome de l’imposteur, mais il reste toujours là, il reste toujours quelque part, toujours prêt à nous dire attention, là vraiment là c’est un peu trop pour toi cette fois-ci, ce serait la marche de trop …

Stéphane Vojetta lors de son interview avec Laurence Lemoine du Courrier d’Espagne

LL : Dans votre livre, vous dites que le mot ambition, n’est pas un gros mot : vous avez 49 ans aujourd’hui, vous êtes député, réélu confortablement. On ne vous imagine pas vous arrêter en si bon chemin… Ce que vous ambitionnez là, maintenant à court, moyen, long terme, ce serait quoi ?

SV : Effectivement, l’ambition n’est pas un gros mot et le succès ça doit être un objectif et non pas une cible à abattre. Et je le dis pour tout le monde, on devrait tous avoir l’ambition de connaître le succès dans nos vies personnelles, et malheureusement, souvent, on nous dit que non, que c’est mal. Au contraire et ce qu’il ne faut pas, c’est l’égalité par le bas. Moi, je me bats vraiment contre ce concept-là, la notion de l’égalité par le bas, je suis absolument contre et je veux lutter contre ça.
Alors en revanche, moi, je ne me fixe jamais d’objectifs à long terme. Je ne me projette jamais à plus d’un an ou 2. En 2027 par exemple, je ne sais pas si je vais vouloir encore continuer à être député ou décider de retourner à ma vie d’avant, ça dépendra des circonstances du moment.

Là, pour l’instant, j’ai eu, c’est vrai, une très belle première année où j’ai réussi à avoir une loi qui a vraiment eu un gros impact en France, mais aussi à l’international, qui fait beaucoup parler et qui fait l’unanimité.

“J’ai réussi à faire avancer quelques sujets pour les Français de l’étranger, pas encore assez, mais on continue et ça avancera encore.”

Donc je me dis que si j’ai 4 autres années comme ça, en fait, j’aurais peut-être eu tout ce que je voulais faire en politique ça pourrait très bien s’arrêter là, sans que j’en nourrisse une frustration. Je n’ai pas comme objectif d’être ministre, ni secrétaire d’État, mais ça dépend vraiment pour quoi faire, si c’est quelque chose sur lequel je pense que je pourrais faire une différence, pourquoi pas.

Cela dit, je pense qu’en tant que député, on a les moyens, une fois qu’on est dans la majorité, de faire bouger les choses d’une manière assez significative. Et donc je suis très content, je me suis fait élire député, pas pour devenir autre chose. Je suis très content d’être député et puis on verra bien. Je n’ai pas d’ambition spécifique en l’occurrence.

LL : Concernant la vie de vos administrés qui sont donc par définition des expatriés, comment expliquez-vous qu’un Français qui s’expatrie en Espagne ait 50.000 démarches administratives à faire ? Cela provoque une vraie désillusion sur ce qu’est vraiment l’Europe, l’Europe des citoyens, l’Europe de la vie de tous les jours…

SV : Ah, c’est hélas vrai ! C’est vrai en Espagne, au Portugal et dans pas mal de pays et il y a des choses qui sont absurdes. Je l’ai déjà dit, quand j’ai l’occasion de rencontrer les administrations espagnoles, je leur dis que le NIE par exemple, c’est une absurdité ! Un Espagnol qui s’installe en France, il peut investir, il peut acheter une maison sans avoir besoin de numéro de NIE ! On nous rajoute constamment des obstacles, on nous oblige à changer nos permis de conduire…

C’est vrai qu’il faut que cela change, mais, dans le cadre du Parlement européen.

“Moi, j’aimerais bien qu’il y ait des députés européens qui traitent les problèmes des 17 millions d’européens expatriés”

Moi, j’aimerais bien qu’il y ait des députés européens qui traitent les problèmes des 17 millions d’européens expatriés qui vivent dans un pays dans lequel ils ne sont pas nés et tous ces gens-là, vivent des problématiques assez similaires, mais on pense très rarement à eux quand on légifère et on devrait légiférer au niveau européen pour commencer à prendre en compte cette population d’expatriés interne à l’Union européenne qui mérite d’avoir une vie quand même beaucoup plus simple.

LL : À propos d’expatriés, qu’est ce qui caractérise les Français exilés en Espagne, sont-ils différents des autres Français expatriés ?

SV : Effectivement, je pense qu’il y a plus de retraités ici que dans d’autres pays, d’ailleurs environ la moitié des retraités français de l’étranger habitent la péninsule ! Il y a environ 200.000 Français qui résident en Espagne à temps plein et qui perçoivent des retraites de la France.

C’est beaucoup surtout quand on sait qu’on a seulement 85.000 Français inscrits sur les listes consulaires ! Ça veut dire que la réalité est largement supérieure, et qu’il y a beaucoup de retraités (et non retraités) français qui vivent en Espagne sans être inscrits sur les listes consulaires.

Par ailleurs, la présence des Français d’Espagne se concentre sur 2 grandes villes, Barcelone, et ensuite Madrid. Ce sont des Français qui sont très actifs, des entrepreneurs, des cadres de grandes sociétés et des micro-entrepreneurs, des profession libérale aussi comme des médecins, des kinés, des dentistes qui viennent s’installer en Espagne, on a aussi beaucoup d’étudiants, l’Espagne est la destination préférée de beaucoup de jeunes Européens d’ailleurs. Et puis on a beaucoup de familles aussi et cela se reflète notamment par le nombre d’établissements français, 23 ! Il faudrait plus de places et que cela soit moins cher.

Beaucoup de familles françaises s’installent ici choisissant un style de vie différent, un environnement sans doute plus agréable en termes de climat, mais aussi en termes d’ambiance et parfois de sécurité aussi.

LL : Justement, par rapport aux émeutes que l’on a connues en France récemment, pensez-vous que l’Espagne est aussi exposée à ce genre de problèmes ?

SV : C’est très différent, ça fait 20 ans que je vis en Espagne ou presque et je n’ai jamais vu ici de problématique liée à la concentration de certaines populations issues de l’immigration. Et pourtant, il y en a aussi en Espagne, dans une moindre mesure, mais c’est moins visible parce que les différences culturelles, les différences ethniques, sont moins marquées parce qu’il s’agit surtout d’une population sud-américaine qui s’installe en Espagne : elle n’est pas invisible, mais elle est quand même beaucoup moins visible, en tout cas que ne sont les populations qui viennent d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne. On a aussi beaucoup de Roumains en Espagne. Donc voilà et je pense aussi qu’on a peut-être un système d’assistance sociale français qui est plus protecteur et donc qui laisse peut-être certaines populations un peu trop dans l’oisiveté, je pense qu’en Espagne, on est plus obligé de travailler si on veut survivre qu’en France.

LL : Concernant les dossiers qui vous attendent après la pause estivale, quelles seront vos priorités ? Le numérique ? 

SV : Oui, il faut absolument qu’on s’assure que la dématérialisation du renouvellement des passeports commence bien. La phase de test démarre en mars prochain au Portugal. C’est essentiel parce que ça correspond vraiment à une des grandes frustrations des Français de la circonscription.
Ensuite, il y a plusieurs engagements du président de la République et de nous-mêmes d’ailleurs, sur lesquels il faut qu’on avance.

On avait notamment prévu de faire quelque chose sur les résidences de repli pour donner un statut spécial aux actifs immobiliers que les Français de l’étranger conservent en France. On veut aussi avancer sur le “chèque éducation langue française” qui permettrait à des familles françaises qui ne scolarisent pas leurs enfants dans les lycées français de l’étranger, d’avoir quand même droit à un crédit qu’ils pourraient dépenser pour faire bénéficier de cours de français à leurs enfants, dans un institut français par exemple ; cela permettrait de renforcer l’écosystème de la langue française. On va mettre un peu la pression sur le ministère.

LL : Dernière question : que vous inspirent les résultats des récentes élections générales en Espagne ?

SV : C’est une situation paradoxale avec un recul des 2 partis des extrêmes (Podemos et Vox) et c’est pour moi une bonne nouvelle, mais on se retrouve à nouveau dans une situation d’ingouvernabilité avec des micros partis régionalistes, indépendantistes qui vont décider de l’avenir de l’Espagne : ils ont un pouvoir disproportionné… Et puis c’est inquiétant de voir que c’est le fugitif Puigdemont qui pendant quelque temps va avoir l’opportunité de faire monter les enchères avec ses exigences et c’est dangereux… Je ne pense pas que c’était le résultat souhaité par la majorité des Espagnols… Ils ne voulaient sans doute pas en arriver là, à rouvrir la boite de Pandore qu’est l’indépendance de la Catalogne ou à être dans une situation de blocage… Donc je regrette que ces élections aboutissent à cela.

Propos recueillis par Laurence Lemoine

La Remontada 347 pages. Publié le 15 juin 2023

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